Paroles d’agriculteurs par temps d’épidémie : que reste-t-il en 2022 ?
À l’annonce du confinement, puis dans les mois qui ont suivi, nous avons souhaité donner la parole aux producteurs Granvillage afin qu’ils nous racontent comment ils ont vécu, subi ou appréhendé la crise sanitaire due au covid-19. Depuis le premier article paru le 25 mars 2020, certains ont fait face et d’autres n’ont pas été en mesure de poursuivre.
- Paroles d’agriculteurs par temps d’épidémie – Épisode 1
- Paroles d’agriculteurs par temps d’épidémie – Épisode 2
- Paroles d’agriculteurs par temps d’épidémie – Épisode 3
Circuits courts & covid-19 : état des lieux en 2022
Alors qu’ils avaient peur que le confinement marque la fin de leur activité, beaucoup de petits producteurs locaux ont vu leurs ventes exploser à l’annonce des premières mesures restrictives. Selon RMT Alimentation Locale, les circuits courts ont été largement plébiscités les premiers mois de la pandémie de covid-19. Cela s’expliquait alors par la peur de la contamination via des aliments manipulés par de nombreux intermédiaires, le télétravail qui permettait de libérer davantage de temps pour les courses alimentaires, le désir de consommer des fruits et légumes frais et non transformés pour préserver sa santé et enfin, la volonté de soutenir l’agriculture locale et de se montrer solidaire envers ceux qui la font vivre. De leurs côtés, les producteurs ont fait en sorte d’accompagner et faciliter l’accès à leurs produits en mettant en place de nouveaux dispositifs : livraison, vente en ligne, drive fermier… Ces efforts se sont montrés payants, même s’ils ont impliqué une forte hausse de la charge de travail, notamment au niveau de la préparation de commandes ou de la transformation.
Yuna Chiffoleau, socialogue à l’INRAE et spécialiste des circuits courts, a mené une enquête sur le covid-19 auprès de 400 producteurs : si de nombreux producteurs ont constaté une hausse de leurs ventes durant le confinement, près de la moitié affirment aller moins bien qu’avant le début de la crise sanitaire.
De notre côté, nous avons souhaité (re)donner la parole à deux d’entre eux, Jean-Pierre et Gaël, l’un vigneron et l’autre producteur de fromage. Chacun a vécu cette crise due au covid-19 différemment. Découvrez leur témoignage.
Jean-Pierre Rivière – Vigneron
« Pour nous, la reprise ne s’est pas trop mal passée. Elle s’est faite par à-coups, entre les déconfinements et les reconfinements.
Nous avons surmonté cette crise avec ce que nous avons mis en place. Ça a été moins pire pour nous que pour d’autres. Contrairement à certains domaines, nous faisions peu de salons. Nous avons beaucoup vendu au domaine, dans les magasins de producteurs et aux restaurateurs dès la levée des restrictions. Nous avons gardé beaucoup de clients venus pendant la crise. Parmi les nouveaux-venus de l’époque, 70% sont toujours ici aujourd’hui.
Nous avons pu bénéficier de certaines aides proposées par l’État, mais comme nous n’avons pas eu de perte de chiffre d’affaires, elles sont restées assez mineures. En revanche, celles-ci nous ont permis de prendre une alternante dans le cadre du plan de relance.
Les circuits courts ont contribué à renforcer la proximité entre ceux qui produisent et ceux qui consomment. Les consommateurs ont rouvert les yeux et ont pris conscience que tout était à portée de main, qu’ils pouvaient trouver presque tout ce dont ils avaient besoin chez les agriculteurs du coin, sans forcément payer plus cher et en ayant une qualité au moins équivalente, voire supérieure. C’est avant tout aux consommateurs d’agir pour que ça change. S’il y a une vraie demande, alors les décideurs n’auront pas d’autre choix que de suivre.
Malheureusement, le contexte géopolitique risque d’engendrer de nouvelles crises. On remarque déjà des ruptures d’approvisionnement, une hyperinflation, toutes les matières font deux fois le tour du monde afin d’arriver et aujourd’hui, certains produits n’arrivent même plus sur notre territoire. Au moindre pépin, on se rend compte qu’on va manquer de telle ou telle matière. Le blé est passé de 200€ à 430€ la tonne. De nombreux pays commencent à prendre des mesures protectionnistes : l’Inde, qui fait partie des dix plus gros exportateurs de blé dans le monde, a annoncé l’interdiction des exportations de blé. L’Indonésie vient d’interdire les exportations d’huile de palme. Le Maroc a fortement limité les exportations de fruits et légumes. En France, certains agriculteurs commencent déjà à réorienter leurs productions vers des cultures plus rentables.
L’Europe ne produit plus assez et la guerre en Ukraine nous a peut-être mis face à l’évidence encore plus violemment que le covid.
Pour ma part, j’appréhende ce qui se profile en tant que producteur, mais surtout en tant que citoyen, père de famille et grand-père. Mais comme je l’ai toujours dit, j’essaie de rester optimiste malgré tout. Le point positif, c’est que cette hyperinflation pourrait peut-être attirer des jeunes qui souhaitent s’installer en agriculture. »
Jean-Pierre Rivière est sur Granvillage
Gaël Teissier – éleveur de chèvres et producteur de fromage
« Je reste assez partagé sur le « changement » provoqué par le covid. J’ai eu de nouveaux clients pendant la crise, mais j’en ai perdu aussi. Certains ne sont plus de ce monde, d’autres ont peur et d’autres encore n’ont plus les moyens.
J’ai l’impression que nous sommes revenus au même point qu’en 2019, avant l’épidémie et le confinement. Il n’y a pas de raison que ça change. Le contexte économique et géopolitique n’est pas des plus encourageants. Je suis un producteur de fromage. Ça reste un « produit plaisir » qui n’est pas une priorité pour beaucoup de familles. J’ai des clients qui m’ont dit qu’ils ne prenaient qu’un fromage, car leur retraite ne suffit plus à payer le fioul et le reste. Ce constat est partagé par bon nombre de producteurs de mon entourage.
Au-delà de ça, les gens ont repris leurs habitudes. Pour bien manger, il faut avoir du temps. Un temps que l’on ne peut pas prendre lorsque l’on a 30 minutes de pause entre midi et deux.
L’engouement pour le local n’a pas vraiment survécu au-delà du confinement. J’ai vraiment cru que les choses allaient changer, que les consommateurs avaient pris conscience de l’importance du local. J’ai vite déchanté. Je ne regrette rien, car ça m’a permis de créer des liens forts avec les producteurs près de chez moi. Nous avons par exemple mis en place un petit marché pour mettre à l’honneur l’agriculture locale.
Je regrette qu’il faille subir une pénurie alimentaire pour que les consciences se réveillent et que les gens comprennent le rôle indispensable que joue notre agriculture.
Les agriculteurs sont décriés, on fait constamment des reproches à ceux qui produisent, mais le jour où on sera rationné en blé ou en huile, car des pays limitent les exportations, alors on comprendra la nécessité des productions locales.
Mon chiffre d’affaires actuel est 30% inférieur à celui de 2021. Je ne tablais pas forcément sur une hausse, mais pas non plus sur une telle perte. Mes collègues chevriers sont dans la même situation. J’ai dû réformer 15 chèvres, car je savais que j’allais partir dans la surproduction. Ça représente 15% de mon troupeau…
Je suis alarmiste sur la situation agricole. Même les lois votées pour développer l’économie locale se révèlent inefficaces. La loi EGALIM 2, qui devait contraindre les grandes et moyennes surfaces à privilégier le local, ne porte pas ses fruits. Les producteurs sont censés fixer leurs prix. Mais le dernier mot revient à la grande distribution. S’ils ne veulent pas acheter votre fromage à votre prix, ils se tourneront vers d’autres producteurs et donc tu finis par baisser ton prix et tu sacrifies ta rentabilité. Il faudrait que les consommateurs arrêtent de se fournir en grandes surfaces. Mais par manque de temps, ils optent pour la facilité. Lorsque l’on passe la journée à travailler, qu’on récupère les enfants à l’école, qu’on leur fait faire les devoirs, on est fatigué, les enfants aussi et on n’a pas envie de passer sa soirée aux fourneaux. On ne peut pas lutter contre ça. Les consommateurs sont également dans la culture de l’instantané. Or, l’agriculture, c’est tout le contraire. Quand on plante une graine, on ne récolte pas la salade dans l’heure qui suit. Quand on fait saillir une chèvre, on n’a rien avant deux ans : il y a la gestation, la croissance, la production du lait, la fabrication des fromages… ça prend du temps.
Je pensais vraiment qu’avec le confinement, les gens auraient un déclic. Mais la vie a pris le dessus sur les bonnes volontés. Il faut faire des choix dans la vie. Je ne suis pas optimiste. »
Gaël Teissier est sur Granvillage
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© Photos : Jérôme Poulalier
© Photo Jean-Pierre Rivière aimablement transmise par Jean-Pierre Rivière.
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