Ictyos par Benjamin Malatrait – Une tannerie de cuirs marins
Le poisson, on le mange de la tête à la queue. Mais la peau, bien souvent, finit à la poubelle. Trois anciens étudiants en chimie se sont demandé comment faire pour la valoriser. Après quelques expériences, c’est vers le cuir marin qu’ils se sont tournés. Nous avons rencontré Benjamin Malatrait, l’un des cofondateurs d’Ictyos, une tannerie de cuirs fabriqués à partir de peaux de poissons.
De la peau de poisson transformée en cuir marin
Bonjour Benjamin, nous sommes heureux de faire ta connaissance ! Pour commencer, peux-tu te présenter et nous parler un peu de toi ?
Je suis Benjamin Malatrait. À la base, je suis un grand passionné de dessin et de pâtisserie. C’est ce qui m’a logiquement mené vers… la chimie. Car après tout, là aussi on mélange des produits pour arriver à une recette. La différence, c’est qu’en chimie, on se régale moins. J’ai fait l’ESCOM, une école d’ingénieur-chimiste en Picardie. J’y ai étudié la chimie verte, une chimie écoresponsable qui consiste globalement à se demander comment faire mieux avec moins. Car si la chimie peut être extrêmement polluante, elle recèle aussi toutes les clés pour trouver des solutions aux problématiques environnementales, notamment à travers le biogaz, l’énergie solaire, le compost ou même le cuir marin.C’est durant mes études que j’ai rencontré Gauthier Lefébure, un ami qui deviendra par la suite mon associé avec Emmanuel Fourrault, dans notre aventure entrepreneuriale.
Mais avant ça, j’ai travaillé quelque temps à Paris en tant que consultant en stratégies et financement d’innovations. Pendant deux ans, j’accompagnais des entreprises, startups, grands groupes ou fonds d’investissement dans leurs recherches de financements.Quand les projets ont commencé à s’éloigner des thématiques relatives à la chimie verte, j’ai peu à peu déconnecté.
Comment es-tu passé des bureaux de Montparnasse à une tannerie de cuirs marins ?
Avec Gauthier, on s’est retrouvés dans un restaurant de sushis pour dîner. Au fil du repas, nous voyions le chef jeter les peaux de poisson les unes après les autres. Une, puis deux, puis trois, puis quatre… on s’est demandé ce que cela représentait en termes de quantité.
En regardant la carte qui était composée à moitié de viande, je me suis dit que pour la viande, on mangeait la partie consommable et on tannait la peau pour en faire du cuir. Pour le poisson, la peau était purement et simplement jetée à la poubelle.
Au même moment, je travaillais sur un projet basé sur la génération de déchets. Je savais que les études montraient que la consommation de viande était décroissante et que la consommation de poisson était grandissante. Ça m’a semblé d’autant plus incroyable et inconcevable que toutes ces peaux partent à la poubelle.Dès le lendemain, j’ai fait quelques recherches. J’ai appris que chaque année, 50 000 tonnes de peaux de poisson étaient jetées chaque année en France.
Pendant ce temps-là, Gauthier était allé sonner à la porte d’un restaurant de sushis pour leur demander s’il pouvait récupérer des peaux. Il avait ramassé quelques écorces dans une forêt et s’était lancé dans des premiers tests de tannage, tout seul, dans le garage de ses parents. Peu de temps après Ictyos voyait le jour.
Pourquoi tanner des peaux de poisson ?
Il existe plusieurs types de procédés, plusieurs moyens pour transformer une peau de poisson en cuir. Ce qu’il faut savoir, c’est que le cuir, c’est rendre une peau animale travaillée pour devenir imputrescible. Tout ce qui n’est pas animal ou imputrescible n’est pas du cuir. Le « cuir végétal », par exemple, c’est un mensonge marketing. Même s’ils partent d’un bon fond, les cuirs végétaux contiennent entre 20% et 80% de plastique. Ce sont des produits issus de la pétrochimie. On utilise un produit que l’on va retirer des sols, ce qui va contribuer à l’appauvrissement des sols, à l’intensification des cultures et avoir de lourdes conséquences au niveau environnemental. Cependant, le cuir tanné au végétal, avec des tanins végétaux, existe et c’est ce que Ictyos développe et produit.La différence avec le cuir marin, c’est que la peau provient d’un animal qui a été élevé pour être consommé. Si le poisson n’était pas destiné à être consommé, alors nous ne travaillons pas sa peau. Si nous ne la revalorisons pas, la peau finit en ordure ménagère, dans une décharge ou en incinération, ce qui va générer du carbone et du dioxyde de carbone.
En tannant la peau, nous nous inscrivons dans un cycle de conservation du carbone. Nous la transformons en un matériau qui est recyclable, biodégradable, fabriqué localement et qui va durer dans le temps. Car le cuir, c’est un des matériaux qui a la plus grande durée de vie. Il fait partie des rares à devenir plus beau avec le temps et l’usage.
Quel est le processus de fabrication des cuirs marins chez Ictyos ?
Notre tannerie devait s’inscrire dans une démarche vertueuse pour l’environnement et l’écologie. La fabrication de nos cuirs marins repose sur trois grands principes :1 – Approvisionnement : nous fabriquons nos cuirs à partir de peaux de poissons français. L’idée, c’est de valoriser le déchet à l’endroit où il est généré. D’ailleurs, à ce stade, on ne parle plus de déchet, mais de coproduit. L’approvisionnement doit aussi se faire à partir de produits issus de l’alimentaire. Tout ce qui est bon pour être mangé a des raisons d’être transformé en cuir. La qualité du cuir dépend du bien-être animal : il faut qu’il n’y ait pas trop de densité dans les élevages, que ce ne soit pas une pêche trop sportive, que le poisson ne soit pas trop jeune, sinon la peau sera trop petite ou aura trop de défauts.
2 – Transformation : ça ne sert à rien d’avoir produit clean au départ si on le transforme avec de la pétrochimie. C’est là que notre cursus en chimie verte a été une force. On a regardé ce qui se faisait en matière de tannage. La majorité des cuirs sont tannés avec des métaux lourds, non-renouvelables. De notre côté, nous sommes assez sensibles à l’épuisement des ressources. Alors, nous nous sommes concentrés sur un principe de tannage ancestral : le tannage végétal. Il repose sur l’utilisation du polyphénol, une molécule que l’on retrouve dans tous les fruits, les racines ou les écorces. Pour vulgariser, c’est le globule blanc du monde végétal. Il a des propriétés tannantes et contribue à rendre la matière imputrescible. Nous tannons nos cuirs marins avec des écorces qui sont elles aussi des coproduits de la filière bois.
3 – Durée de vie : une fois que l’on a un produit bien approvisionné, bien transformé, il faut le faire durer. S’il ne tient que deux jours, alors tous les efforts réalisés en amont ne servent à rien. Mieux vaut avoir un produit deux fois plus polluant qui dure quatre fois plus longtemps. C’est notamment ça qui justifie qu’aujourd’hui, on se sert de teintures pour avoir différentes couleurs de cuir. On n’utilise pas des teintures végétales, mais des teintures conventionnelles qui viennent de colorants et de pigments. Les colorants végétaux perdent leurs couleurs au bout de deux jours au soleil. Or, les gens n’achètent pas un produit pour le jeter aussitôt. Alors, autant fabriquer un produit qui a un impact environnemental un peu plus fort, mais qui va durer des dizaines d’années.
Avec Ictyos, on est vraiment sur une industrie une nouvelle génération faite par la nouvelle génération. Et l’industrie d’aujourd’hui doit être transparente et cesser ce qu’elle fait depuis des dizaines d’années : cacher ses usines, ne pas expliquer les compositions, minimiser son impact.
Nous, on parle tout, on parle de tout et on montre tout. Nos clients sont les bienvenus dans la tannerie. Nous sommes ravis d’expliquer nos procédés, de montrer nos machines. Les seules choses que nous souhaitons garder secrètes, ce sont les tanins végétaux que l’on utilise et qui sont le résultat d’une longue phase de Recherche & Développement.
D’ailleurs, Ictyos est la première tannerie à proposer de la vente directe !
Quel de chemin parcouru depuis ce dîner au restaurant ! Quelles sont les prochaines étapes pour Ictyos ?
Le premier avril, et ce n’est pas une blague, nous lançons notre nouveau site web sur lequel il sera possible de commander des échantillons gratuitement.
Nous allons également proposer un nouveau cuir chaque année. Il sera dévoilé en juin. Nous avons déjà le cuir de carpe des Dombes, le cuir d’esturgeon qui vient d’une pisciculture française, le cuir de saumon qui vient des restaurants lyonnais et nous avons hâte de présenter le petit nouveau qui va arriver.
Avant de nous quitter, peux-tu nous partager ton astuce green à appliquer au quotidien ?
Le green peut aussi être digital ! Quand on passe du temps sur son ordinateur ou son téléphone, il faut aussi réfléchir à l’impact de nos actions. Envoyer un mail ou faire une recherche sur Google, ça demande de l’énergie. Pour compenser, il existe quelques alternatives. Je conseille par exemple d’utiliser le moteur de recherche Écosia qui s’engage dans la reforestation.
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