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Dr Toudou – Le vétérinaire qui fait parler le monde agricole

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Le 10 juin 2021
Un vétérinaire bovin en 280 caractères En savoir plus
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Il y a, dans les campagnes, des docteurs en blouse marron, chaussant les bottes et sentant la bouse. C’est ainsi que se décrit le Dr Toudou, l’un des plus célèbres vétérinaires de Twitter, dans sa bio. En moins de 280 caractères, il partage son quotidien et celui de ses patientes ruminantes, entre brèves d’étables et déconstruction de mythes à la dent dure.  

Dr Toudou, le monde agricole en 280 caractères 


Comme les médecins de campagne fut un temps, il y a des docteurs qui quadrillent les zones rurales pour aller de ferme en ferme, au secours de patients qui meuglent et ruminent. Tudual est l’un d’entre eux. Vétérinaire bovin, ce n’était pas un rêve d’enfant. Mais il a rencontré son métier, et l’a aimé avant-même de l’épouser sous serment. Quand il n’est pas dans les étables, à soigner entre foin, sang et sueur, il s’empare de son clavier pour raconter son métier, mais aussi la réalité d’un monde agricole trop souvent fantasmé.   

Il nous raconte comment tout à commencé. 

tudual toudou vétérinaire

« Je m’appelle Tudual et je suis vétérinaire bovin, principalement. Je précise, car je m’occupe aussi des chiens et des chats, même si ce n’est pas ma spécialisation. Je pratique en Bretagne depuis maintenant quatre ans. Je fais un peu de vulgarisation et je parle de mon métier sur Twitter.  

Contrairement à beaucoup de vétérinaires, je n’ai pas eu la vocation en étant petit. Nous avions eu quelques chats à la maison, mais rien de plus. Je voulais être boulanger ou peut-être même ornithologue. J’ai grandi à la campagne, dans les Côtes-d’Armor. J’avais envie de travailler au contact de la nature, alors tout s’est fait un peu par hasard. Un jour, je suis tombé sur l’interview d’un vétérinaire bovin et j’ai eu une illumination. Voilà, j’étais au lycée et j’avais trouvé mon évidence. Petit à petit, notamment à travers les stages, j’ai découvert ce métier. Et puis, soudainement et irrémédiablement, j’en suis tombé amoureux. Aujourd’hui, c’est plus qu’une vocation, c’est un sacerdoce, une raison de vivre. » 

Le jeune étudiant le sait, le chemin sera long et ardu avant le Serment de Bourgelat, l’équivalent du Serment d’Hippocrate pour les vétérinaires. Mais la volonté est là, et au fond, il sait ce qu’il doit accomplir pour réaliser son rêve.  

« Il faut réussir un concours pour entrer en école vétérinaire. C’est un concours national avec quatre voies d’entrée : après une classe préparatoire, après une licence, après un DUT ou une autre voie réservée aux titulaires d’un diplôme niveau master. Pour ma part, j’avais tenté la classe préparatoire, mais j’ai rapidement pris conscience que ce n’était pas pour moi. Il fallait être un extra-terrestre en termes d’études pour réussir par cette voie-là. Alors, pour augmenter mes chances, je me suis orienté vers un IUT dans le domaine des analyses de laboratoire. Après mes deux ans de DUT, j’ai fait une année de prépa spéciale qui préparait au concours. Puis j’ai intégré l’école de Nantes. En général, les premières années d’école vétérinaire, on bourlingue un peu pour découvrir le métier. De nombreux étudiants vont dans les régions allaitantes, comme le Charolais, pour se former en obstétrique, sur les vêlages ou les césariennes. Je suis resté en Bretagne pour mes stages des trois premières années, je suis allé au Texas pour mon stage de 4eme année, puis en Vendée et dans le Jura en cinquième année. Au Texas, la pratique, c’était autre chose ! Déjà, il faisait 40° à l’ombre. Alors ce n’est pas le plus propice pour travailler. Ensuite, c’est vraiment une autre manière pratiquer. Ils réalisent beaucoup d’actes qu’on ne fait plus en France, parce qu’on a délégué beaucoup d’actes à des organismes extérieurs, contrairement au Texas où le vétérinaire a gardé certains actes de base comme l’écornage, l’insémination, l’identification, la vaccination… À l’époque, lorsque j’ai fait ce stage, ils étaient encore peu à cheval sur la réglementation. Par exemple, on pouvait utiliser n’importe quel antibiotique sans ordonnance. En France, c’est inenvisageable. Depuis quelques années, même là-bas, ils commencent à surveiller de plus près. Durant ce stage, j’ai pris conscience que la France et les États-Unis avaient chacune leur vision de l’agriculture. Au Texas, ils font principalement de l’allaitant, de la vache à viande. Dans les régions du sud, les animaux sont élevés dans de grands ranchs, en hyper-extensif, avec des animaux dehors toute l’année et des cow-boys à cheval. Une fois que les animaux ont un an, ils les attrapent dans les champs et les envoient dans le nord de la région, dans des feedlots, (des parcs d’engraissement) où les méthodes de production reposent sur de l’hyper-intensif. C’est d’ailleurs souvent ces images qu’on donne lorsque l’on veut dénoncer l’élevage. Mais en France, on est loin de ce modèle.  

J’ai fait une cinquième année d’études pour choisir une spécialisation. C’est là que je me suis orienté sur le bovin. » 

Et puis, diplôme en poche et thèse (confidentielle) réalisée, celui qui se fait désormais appeler Dr Toudou a continué d’exercer son métier, avec comme compagnons du quotidien, celles et ceux qui font vivre le monde agricole, les bêtes et la passion. 

« Au fond, vétérinaire, ce n’est rien de plus qu’être un super médecin pour les animaux. Ce qui est particulier par rapport aux médecins, c’est que nous, nous faisons tout avec trois fois moins de matériel. En fait, nous sommes assez proches du médecin de campagne des années 50 qui se déplaçaient dans toutes les maisons. Ils n’avaient pas peur d’opérer une appendicite sur la table de la cuisine. Nous, les vétérinaires, c’est un peu ça. Nous sommes des sortes de généralistes, anesthésistes, chirurgiens, radiologues, pharmaciens… nous portons toutes les casquettes du monde de la santé. Et pour ne rien vous cacher, parfois nos gestes se rapprochent de la médecine de guerre. Nous avons un gant de fouille, un thermomètre, un stéthoscope et nous devons nous débrouiller avec ça et faire des miracles avec ce que l’on a sous la main. » 

vétérinaire bovin

Ses patients meuglent, miaulent ou aboient. Pour les non-initiés·es, ça pourrait être un obstacle. Mais pour lui, c’est simplement une autre manière de communiquer.  

« On nous demande souvent comment nous faisons pour comprendre nos patients. On pourrait penser que les animaux ne peuvent pas partager leur douleur. Mais c’est peut-être un mal pour un bien : on peut identifier précisément ce qui ne va pas. Il n’y a pas de comédie. Un animal ne triche pas. S’il n’est pas bien, on le sait immédiatement. Généralement, on le repère avant-même que l’éleveur ne nous le montre. Et puis, on rencontre souvent les mêmes problèmes et avec les années, on acquiert des mécanismes.  

Parfois, on a une idée de ce qu’il se passe sur les seuls dires de l’éleveur. 

La médecine bovine s’est pendant longtemps reposée sur de l’empirisme. Même si on essaie de s’en éloigner le plus possible, c’est encore un peu le cas aujourd’hui. La recherche en médecine animale étant moins avancée qu’en médecine humaine, on n’a pas toujours les données de la science ou les moyens nécessaires pour résoudre toutes les situations. Alors parfois, on avance à tâtons, on tente certaines choses en essayant d’être le plus rationnel et scientifique possible, mais toujours en agissant avec la réalité du terrain.  

vétérinaire agricole

Alors que les santés humaine et animale sont étroitement liées, la seconde ne bénéficie pas des mêmes moyens que la première. 

« L’histoire du lien entre la médecine humaine et la médecine vétérinaire est très récente. On a pris conscience de cette nécessité au début des années 2000, avec le concept « one health », une seule santé. Nous, les vétérinaires, en sommes de fervents partisans. Nous essayons de faire comprendre au grand public que la santé animale doit être au même plan que la santé humaine. Ce n’est pas encore évident pour tout le monde.  
La recherche vétérinaire repose beaucoup sur des organismes privés, des laboratoires qui considèrent encore la médecine animale comme un marché de niche. La réalité économique est telle, que le développement de ce domaine reste limité par rapport à̀ la médecine humaine »  

Pendant qu’il soigne les animaux, le vétérinaire est aussi à l’écoute des éleveurs·euses. Il tisse des liens pour consolider la confiance, un élément indispensable à la pratique du métier. 

« Il y a encore une vingtaine ou une trentaine d’années, le vétérinaire était le seul intervenant dans les fermes. Aujourd’hui, c’est un peu moins vrai. Il y a l’inséminateur, le technicien et tout un tas d’acteurs qui gravitent autour de l’éleveur. Nous, vétérinaires, nous avons une place parmi tant d’autres. Mais j’aime bien me considérer comme un partenaire privilégié. Car une fois qu’on a la confiance de l’éleveur, alors on sait qu’ils seront quand même un peu attachés à leur vétérinaire. Ils savent que nous allons nous déplacer de jour comme de nuit, à n’importe quelle heure, quel que soit le temps, que nous serons toujours là. Si le lien de confiance est altéré, alors on ne pourra plus pratiquer. C’est pour ça que nous faisons tout pour le préserver. 

Ce que je trouve intéressant, c’est que finalement, dans notre métier, la dimension humaine est aussi importante que notre rapport à l’animal. Un vétérinaire qui ne comprend pas qu’il doit aussi soigner les éleveurs n’a pas compris son métier. Nous sommes amenés à travailler dans des conditions parfois très difficiles. Si nous ne pouvons pas compter sur l’éleveur, alors c’est terminé. Pour réaliser le moindre acte sur un animal, nous devons recueillir l’accord de l’éleveur. C’est vraiment un travail qui se pratique main dans la main.« 

 

À celui qui murmure à l’oreille des bovins et qui entend même ce que les éleveurs·euses ne prononcent pas, nous avons demandé de partager sa vision du monde agricole d’aujourd’hui. 

« Je suis quelqu’un d’optimiste qui essaie toujours de voir le verre à moitié plein. Je crois vraiment que l’agriculture française est l’une des plus belles qui existe au monde. C’est un rare exemple d’un pays développé qui a su préserver une agriculture familiale à taille humaine. Est-ce que nous pourrons maintenir ce modèle pendant longtemps ? J’ai quelques doutes… 

Il y a de belles initiatives qui naissent ici et là. On parle beaucoup local ou circuit court, et j’encourage les éleveurs qui le peuvent à aller dans ce sens-là. Mais la question est aussi de savoir si ces modèles nous permettront de garantir l’autonomie alimentaire de la France dans les années à venir. Il ne faut pas oublier que l’enjeu, c’est de nourrir 70 millions de personnes. 

Il faut que les gens prennent conscience de la beauté de l’agriculture française pour qu’elle ait un bel avenir. Car si on continue à la dénigrer ainsi, dans dix ans, elle n’existera plus. C’est d’ailleurs pour ça que je communique un peu sur les réseaux. C’est aussi ce que font les membres de France Agri Twittos ou d’autres. Nous voulons faire comprendre aux consommateurs que ce qu’ils exigent depuis plusieurs années en matière d’alimentation, ça existe déjà et ça s’appelle l’agriculture française. » 

Depuis quelques années maintenant, Tudual prend la casquette de Dr Toudou pour raconter la réalité du monde agricole qu’il côtoie tous les jours.  

« Il y a une grosse injustice vis-à-vis des éleveurs, vis-à-vis des agriculteurs. Ils se font cracher dessus au quotidien, sur les réseaux, par les politiques ou dans les médias. Mais moi, ce que je vois chaque jour sur le terrain n’a rien à voir avec ce que l’on nous montre. Alors j’ai créé mon compte pour tenter de rééquilibrer les propos. La première fois que j’ai pris la parole, c’était sur les antibiotiques. J’entendais à tout va que les animaux étaient élevés aux antibiotiques et personne pour dire que cette phrase n’avait aucun sens. Alors je m’en suis chargé en me disant qu’il fallait bien qu’il y en ait un qui se lance. Peut-être que d’autres l’avaient fait avant moi, mais leurs voix ne m’étaient pas parvenues. Et puis, si les vétérinaires restent silencieux sur tout ça, dans 20 ans, nous serons au chômage.  

Je me suis dit que si j’arrivais à en convaincre 10, ce ne serait déjà pas si mal. Et puis finalement, on se retrouve à être plus de 13 000 sur ce compte. Si parmi eux, 100 entendent et comprennent ce que je fais, alors c’est déjà une petite victoire. Je ne sais pas si ça changera véritablement la donne, mais petite goutte par petite goutte, nous pourrons peut-être changer les regards sur l’agriculture française. Il faut que j’arrive à convaincre mes confrères de me rejoindre et prendre la parole à leur tour ! 

Alors évidemment, dès le moment où on est exposé, ce n’est pas tous les jours facile. Je me suis déjà retrouvé dans des situations compliquées. Il y a parfois des gens complètement cinglés, des gens violents et virulents qui viennent nous interpeller. Mais bizarrement, j’ai rencontré plus de problèmes en m’exprimant sur les chiens et les chats que sur les bovins ! C’est aussi pour ça que je tiens à mon pseudonymat. C’est une manière de me protéger. »  

Si vous vous promenez sur le compte Twitter de Dr Toudou, vous pourrez découvrir des brèves d’étables qui font rire ou sourire et d’autres qui serrent la gorge. Continuez de scroller le fil et vous trouverez aussi mises au point sur les pratiques agricoles actuelles.  

« Je fais des threads (suite de tweets) de vulgarisation que j’appelle mes threads debunk. Je prends une phrase bateau que l’on entend souvent et j’explique, avec des faits, les pratiques qui sont derrière, au-delà des clichés. C’est intéressant de démonter et dénoncer les idées reçues. Et pour ça, Twitter est un formidable outil. Ça m’a aussi permis d’échanger avec des gens qui venaient d’autres univers, de comprendre leur métier et leurs pratiques. C’est par exemple en échangeant avec des agriculteurs que j’ai beaucoup appris sur l’utilisation de pesticides. Ces partages de connaissances permettent d’étoffer les idées et de comprendre le monde dans lequel nous vivons. » 

 

De ses échanges privilégiés avec les éleveurs, de sa pratique du terrain, de sa connaissance du terroir, nous lui avons demandé s’il en avait retiré des conseils pour préserver cette agriculture qui compte tant. 

« Mangez français. C’est un peu le message que j’envoie à tout le monde. Si on veut être sûr de manger quelque chose de correct, qui a été fait dans les règles de l’art, alors il faut se tourner vers notre agriculture. Moi-même, au quotidien, j’essaie d’acheter un maximum de produits français. Soutenons notre agriculture et nous pourrons justement aller vers ce que les consommateurs demandent. 

Quant aux jeunes qui ont envie de se lancer dans l’agriculture, mais qui n’osent pas, allez-y ! Vous êtes l’avenir et nous allons avoir besoin de vous pour faire perdurer cet héritage. Idem si vous souhaitez devenir vétérinaire bovin. Même si c’est parfois difficile, même si les études sont longues, il faut s’accrocher. Je suis la preuve qu’avec de la volonté, on peut y arriver. C’est plus qu’un choix de métier, c’est un choix de vie. Moi, je suis tous les jours un peu plus amoureux de mon métier. » 

Avant de nous quitter, nous avons demandé à Tudual de nous partager son plus beau souvenir de vétérinaire. Nous pensions qu’après tout ce qu’il nous avait déjà dit, il lui serait difficile de nous dire autrement l’amour qu’il porte à son métier. Et pourtant… 

« Je suis arrivé en première année vétérinaire sans jamais avoir approché le métier, de près ou de loin. Je n’avais strictement aucune idée de ce à quoi ça ressemblait réellement. En clair : j’étais totalement inconscient. J’ai fait mon tout premier stage chez un vétérinaire bovin alors que j’avais déjà un pied dedans. À la fin de ma première journée de terrain, je ressentais quelque chose d’indescriptible. J’étais comme un gamin, j’étais fou. J’ai pris ma voiture pour faire le trajet jusqu’à chez moi. J’étais tellement heureux que je criais tout seul dans la voiture. Pour la première fois, j’avais rencontré mon métier. Et il a suffi d’une fois pour que j’en tombe amoureux. Si je pouvais revivre ce moment, alors je le ferais dix fois par jour. » 



Retrouvez le Dr Toudou sur Twitter et Instagram et découvrez ses brèves d’étables et ses tweets de vulgarisation pour comprendre le monde agricole et le quotidien d’un vétérinaire bovin.  

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2 commentaires sur “Dr Toudou – Le vétérinaire qui fait parler le monde agricole

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