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BORIS TAVERNIER – ASSOCIATION VRAC : MIEUX MANGER DANS LES QUARTIERS

Dans la catégorie Une journée avec...
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Le 27 janvier 2020
Comment démocratiser une alimentation saine, lutter contre la précarité alimentaire et agir en faveur des producteurs qui nous nourrissent ? Boris Tavernier a trouvé la solution avec son association VRAC. Pour Granvillage, il a accepté de parler de ses courageux et nécessaires combats. En savoir plus
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Du vrac et du goût

 

Bonjour Boris, peux-tu te présenter, nous raconter ton parcours et nous parler de l’association VRAC ?

VRAC est une association née il y a six ans, dans la région lyonnaise, à la suite d’un parcours dans l’alimentation. En 2004, j’avais ouvert De l’autre côté du Pont, un restaurant / bar / salle de spectacle en circuit court. Nous avions alors la volonté de démocratiser les bons produits, de montrer qu'on pouvait avoir une consommation différente sans que cela ne coûte forcément plus cher. Mais nous touchions un public engagé, parfois militant, qui était déjà concerné par la question.  

Alors l’idée de VRAC a germé. Après de longues réflexions avec d’autres personnes et structures, nous en sommes venus à l’idée de toucher un public précaire, éloigné des produits locaux et bio. Nous nous sommes rapprochés d’un bailleur social, Est Métropole Habitat qui était à l'époque dirigée par Cédric Van Styvendael et de Marc Urhy, qui était responsable de la Fondation Abbé-Pierre.

Le bailleur voulait un projet dans les banlieues pour travailler sur le pouvoir d'achat des habitants, la Fondation Abbé-Pierre un projet qui s’inscrivait dans leur politique de lutte contre l'isolement et l'exclusion, et moi, j’étais là avec ma casquette alimentation. Ils m’ont dit « débrouille-toi, tu as carte blanche ! ».

Nous sommes aujourd’hui présents dans 13 quartiers de l’agglomération lyonnaise. Le projet est né à Lyon, puis s’est développé à Strasbourg, Bordeaux, Toulouse, Paris et bientôt Nantes.

L’association est financée par les bailleurs sociaux puisque nous touchons leurs locataires, par les collectivités, par les fondations privées (Abbé Pierre, Secours catholique, Carasso…) et la fondation la France S’Engage (présidée par François Hollande). Les collectivités ont un rôle primordial à jouer. L’alimentation est un enjeu sociétal majeur. Une bonne alimentation ne devrait pas représenter un coût, mais un investissement. Si l’on n’agit pas maintenant, la mauvaise alimentation coûtera des milliards et des milliards demain.

En bref, VRAC œuvre pour l’accès à une alimentation saine et lutte contre la précarité alimentaire.

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Pourquoi avoir choisi les banlieues ?

Parce que le constat est toujours le même : quand tu n'as pas d'argent, tu orientes ta consommation vers le moins cher, aux dépens de la qualité et de la santé.  Dans les banlieues, c’est la double-peine : il n’y a ni moyens, ni offres sur le territoire. Ce sont de véritables déserts géographiques et alimentaires, c’est un drame pour la santé. Dans les quartiers, les taux d'obésité et de diabète sont quatre fois plus élevés que la moyenne nationale.

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Quel est l’objectif de VRAC ?

L'objectif c'est de rendre les bons produits accessibles. Si l’on a accès à des bons produits, on retrouve le goût de cuisiner, de partager, on comprend d’où viennent les produits que l’on consomme et surtout, on prend du plaisir à manger.

 

Comment as-tu procédé pour faire accepter VRAC ?

Je ne pouvais pas arriver et dire « Mangez des produits bio ! ». Je me serais pris rejet sur rejet. Ces populations pensent que le bio, ce n’est pas pour eux, c’est pour les « riches ». Alors j’ai commencé par proposer des ateliers de cuisine dans les centres sociaux, rencontrer les gens à la sortie des écoles, au foyer protestant, à la mosquée, dans les associations, bref un peu partout pour faire connaître VRAC, sans parler encore du bio ou du local. Petit à petit, ils se sont questionnés. Nous avons organisé des réunions et des dégustations. J’amenais des produits au pied des immeubles, de l’huile d’olive, du chocolat, de la farine et autres produits secs. Je les invitais à goûter, sans rien dire. Une fois que c’était validé en termes de goût, alors nous parlions de prix.

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En parlant de prix, comment faites-vous pour rendre tous ces produits accessibles ?

Notre choix, c’est de rendre les produits accessibles à prix coûtant. Nous proposons essentiellement des produits secs, sur une centaine de références. Malheureusement, les fruits et légumes restent trop chers. Même si je travaille avec un artisan local, les tomates au mois de juillet coûteront quatre fois plus cher que celles du Maroc. Produire bio coûte cher au producteur. Et puis les produits frais demandent plus de travail en termes de logistique et d'hygiène.

Je ne négocie pas avec les producteurs. Le salaire moyen d’un agriculteur est de 500€ par mois. Je ne veux pas gratter 10 centimes à des hommes et des femmes qui ne gagnent pas bien leur vie.

En commandant directement auprès des producteurs, sans intermédiaires et sur des gros volumes, nous pouvons avoir des prix intéressants.

Les gens sont aussi venus car ils n’avaient pas confiance dans le bio de la grande distribution. Aujourd’hui, 80% des produits bio que l’on trouve dans la grande distribution proviennent de l’étranger. Avec eux, on dit adieu au local. La France n’a que 7% des terres agricoles converties en bio. C’est impossible de nourrir la totalité de la population avec des produits bio. Moi je travaille avec des producteurs qui n’ont pas tous le label bio et qui ont pourtant toute ma confiance. L’important, c’est de savoir d’où vient le produit que l’on consomme et les conditions de production. Il vaut mieux tendre vers ça, préserver une certaine éthique, que d’aller vers le bio industriel. D’autant que la grande distribution n’agit pas en faveur des paysans et le bio n’y changera rien.

 

Peux-tu nous parler du fonctionnement de l’association ?

Nous sommes donc implantés dans les quartiers politiques de la ville, les banlieues. Nous nous installons dans les centres sociaux.

J’ai créé la première AMAP à Lyon en 2004 et je souhaitais un fonctionnement plus souple, avec plus de choix. Car la question du choix est importante. Nous voulions que les gens puissent décider de ce qu’ils allaient mettre dans leur panier. Les commandes se font en ligne ou dans les permanences physiques car certaines personnes n’ont pas accès à internet ou sont isolées et c’est important pour elles de voir quelqu’un. Il y a une centaine de produits écologiques référencés : des produits alimentaires, d’hygiène, d’entretien… Les adhérents choisissent les produits dont ils ont besoin et les quantités dont ils ont besoin. Ils peuvent commander 50 centilitres d'huile d'olive et 300 grammes de farine comme 5 litres et 4 kilos. Nous nous adressons aux familles nombreuses comme aux personnes isolées.  

Les commandes sont centralisées puis livrées dans les centres sociaux qui accueillent les permanences. On crée l’épicerie éphémère au sein même du quartier. Les habitants viennent avec leurs emballages et leurs bouteilles et font le passage du vrac au détail. Il y a 130 bénévoles qui s’assurent que tout fonctionne. Dans les quartiers, il y a une vraie volonté de changer son alimentation. Il m’est arrivé de voir des mamans qui se privent, qui sautent un repas pour se permettre d’offrir des produits sains à leurs enfants. On a tendance à croire que les quartiers sont le royaume de la malbouffe, que les gens se fichent de leur alimentation alors que ce n’est pas le cas du tout, notamment pour les familles issues de l'immigration. Dans leur pays d'origine, ils avaient souvent un jardin, parfois même des ruches. Ils avaient accès à de bons produits. Ils souhaitent se nourrir sainement, mais veulent aussi que le paysan qui les fournit soit bien payé. Ils vivent modestement et pourtant, pour eux c’est important.

Les gens pensent que parce que l’on n’a pas d’argent, on devrait accepter de manger tout ce que l’on nous donne. C’est faux. La dignité passe aussi par l’alimentation. Ce n’est pas parce que tu as faim que l’on doit te donner n’importe quoi.

Les gens pourraient récupérer leur commande en cinq minutes puis partir. Mais souvent, ils restent toute l’après-midi, échangent, papotent. Ça crée du lien et ça génère de nouveaux lieux de socialisation.

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Quelles sont les valeurs de VRAC ?

En plus de l’accès à une alimentation saine et de la lutte contre la précarité alimentaire, nous souhaitons vraiment remettre la question de plaisir au centre des discussions. Il faut sortir de l’injonction « tu devrais manger ça plutôt que ça ». C’est pour cela que nous organisons des concours de cuisine, des journées pédagogiques à la campagne pour partir à la rencontre des producteurs. C'est intéressant de reconnecter la terre et l'assiette, de savoir ce que tu manges, d'où ça vient.

Par exemple, ce serait difficile de dire aux gens « mangez moins de viande ». Nous préférons jouer la carte du plaisir, organiser un concours de cuisine dans lequel nous demandons aux participants de réaliser un plat végétarien. Certains rechignent au début puis finissent par se prendre au jeu. Quand un chef étoilé vous dit que votre plat végétarien est hyper bon, vous vous sentez valorisé et avez envie d’essayer à nouveau. Donc ça fonctionne !

Notre objectif n'est pas de vendre le plus de produits bio et locaux dans les quartiers, mais d’inviter les gens à se réapproprier leur consommation et à se questionner.

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Qui peut adhérer à l’association ?

Nous faisons en sorte que 70% de nos adhérents habitent les quartiers politiques de la ville (NDLR : les quartiers politiques remplacent les « zones urbaines sensibles » depuis 2015). Ils paient leur adhésion 1€ et les produits à prix coûtant. L’intérêt, c’est aussi que ça se mélange. Ce qui n’habitent pas ces quartiers vont alors faire la démarche de se rendre dans un quartier dans lequel ils ne se seraient jamais rendus pour faire leurs courses. Ils paient une adhésion solidaire et les produits 10% plus cher que les habitants afin que l’offre reste attractive et les pousse à traverser la ville.

Cela permet aussi de changer les regards sur les quartiers et leurs habitants.

 

Comment fais-tu pour faire connaître l’association ?

J’aurais beau passer dans tous les médias, le bouche-à-oreille reste roi. 90% des gens qui découvrent VRAC ramènent quelqu’un la fois suivante. Nous prenons notre bâton de pèlerin et continuons à organiser des dégustations et ateliers dans les quartiers pour toucher de nouvelles personnes. C’est encore ce qui fonctionne le mieux.

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Quel lien l’association entretient-elle avec les producteurs ?

Nos relations vont au-delà du simple aspect commercial. Lorsque les producteurs sont situés dans la région, nous allons à leur rencontre, visitons leur exploitation, échangeons sur leurs attentes… J’en connaissais certains et d’autres nous ont contactés pour fournir VRAC. Ils se retrouvaient dans les valeurs de l’association et étaient heureux de pouvoir toucher un public qui n’aurait pas forcément pu avoir accès à leurs produits. Ils ont aussi l’assurance de vendre une grande partie de leur production. Par exemple, nous achetons le miel d’un apiculteur. Comme sa production est vendue, il n’a plus besoin de faire le marché le dimanche.

Pour d’autres produits, nous sommes obligés de nous fournir ailleurs mais nous restons vigilants quant aux conditions de production et tentons de faire au plus proche. Par exemple, nous achetons pâtes et sauce tomate à une coopérative italienne qui nous fournit en direct. Pour l’huile d’olive, nous nous adressons à un producteur qui ne vient pas d’Andalousie, mais de Catalogne. Pour le café, le chocolat et autres produits plus exotiques, nous travaillons avec des structures identifiées qui pratiquent le commerce équitable.

Nous travaillons aussi avec des structures plus grandes, comme Charles & Alice qui fait des compotes bio. Même si les volumes sont faibles comparé à leurs autres commandes, cela leur permet de toucher de nouveaux centres de distribution. Ils nous proposent des tarifs avantageux : toutes les compotes sont au même prix que la compote de pomme basique. Les gens des quartiers peuvent s'acheter des compotes bio au prix des marques de distributeurs.

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As-tu un dernier mot à partager aux consommateurs et producteurs de Granvillage ?

Il vaut mieux plein de petits groupements d’achat à taille humaine plutôt que de rentrer dans le jeu de la grande distribution. Il faut qu'on arrive à travailler ensemble, producteurs, consommateurs, collectivités. Il faut que les consommateurs puissent acheter la production d'un paysan du coin à un prix juste pour tout le monde. Travaillons main dans la main avec le monde paysan.

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Vous souhaitez en savoir plus sur l'association VRAC ? C'est par ici !
Les photos ont été aimablement transmises par Boris Tavernier. 

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