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Agriculture & climat – Quelques questions à Serge Zaka, docteur en agroclimatologie

Dans la catégorie Une journée avec...
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Le 16 août 2021
Serge Zaka répond à nos questions sur l’agriculture et le climat En savoir plus
serge zaka


Serge Zaka, le docteur en agroclimatologie qui lie agriculture & climat


Petit, Serge Zaka était passionné par la météo. En grandissant, il s’est intéressé à l’environnement et aux enjeux de l’agriculture d’aujourd’hui et de demain. Autodidacte d’abord, puis diplômé et enfin doctorant, il est aujourd’hui l’un des rares scientifiques français à étudier l’impact de l’agriculture sur le climat et du climat sur l’agriculture.

serge zaka climat


Bonjour Serge, pouvez-vous nous en dire plus sur vous ?

Je suis Serge Zaka, docteur en agroclimatologie. C’est un métier assez méconnu. Beaucoup en ont entendu parler avec l’épisode de gel d’avril 2021. Cela consiste à étudier l’impact du climat sur l’agriculture et de l’agriculture sur le climat.
L’impact du climat sur l’agriculture, c’est par exemple l’effet que le gel a eu sur les récoltes en avril.
L’impact de l’agriculture sur le climat, c’est notamment les exploitations qui émettent des gaz à effet de serre ou stockent du carbone, et qui jouent donc un rôle sur le climat.

 


Qu’est-ce qui vous a guidé vers ce métier ?


Je suis passionné de météorologie depuis l’âge de huit ans. Ça vient peut-être des grandes tempêtes qui ont frappé la France en 1999. J’avais alors cherché une explication pour tenter de savoir ce qu’il y avait derrière ces phénomènes. À l’époque, on ne parlait que très peu de changement climatique. J’ai voulu aller sur le terrain pour comprendre. Je suis devenu chasseur d’orage et ça a marqué le début de mon parcours.

J’ai beaucoup lu, participé à des discussions, des conférences. J’ai appris la science météorologique grâce à l’association Infoclimat qui regroupe tous les passionnés de météorologie en France.

L’intérêt de la société pour le changement climatique est arrivé durant mon adolescence. C’est alors que j’ai pris conscience que mes connaissances scientifiques sur le sujet pouvaient être utiles.

J’ai donc fait des études en agronomie et ma thèse sur l’agroclimatologie. J’ai lié mes deux compétences en un seul diplôme pour devenir agrométéorologue. C’est assez rare en France, car on pratique peu l’interdisciplinarité au niveau universitaire. C’est dommage, car cette double compétence m’a permis d’acquérir un savoir-faire sur le terrain que je n’aurais pas eu avec une formation académique seule. Ça s’est d’ailleurs vérifié avec l’épisode de gel d’avril 2021 où beaucoup de scientifiques ont pris conscience que c’est vraiment le climat qui guide tout sur le terrain. À travers mes cartes, ITK  a été la seule institution à montrer l’impact du gel sur l’agriculture.



Pourquoi cet attrait pour le monde agricole ?


L’agriculture, c’est ce qui permet à l’être humain de se nourrir. Et c’est là que j’ai identifié les plus grosses lacunes en lien avec le climat. Il faut que nous puissions être capables de continuer à nourrir les populations tout en limitant notre impact environnemental et en composant avec les contraintes climatiques toujours plus présentes.



Vous prenez la parole sur les réseaux sociaux pour expliquer et décomposer les phénomènes climatiques. Qu’est-ce qui vous a poussé à partager vos connaissances ?


J’ai endossé le rôle de vulgarisateur sur Twitter, Facebook ou LinkedIn pour permettre au grand public de se rendre compte des difficultés que rencontre le monde agricole face au changement climatique. Car le changement climatique, ce n’est pas seulement mettre la clim dans les hôpitaux et les maisons de retraite. Il a aussi un impact sur la nature et les agriculteurs sont les premiers concernés. Il faut que le grand public prenne aussi conscience de ce que subissent les agriculteurs, que tout ça va bien au-delà du traditionnel débat bio/conventionnel. Lorsque l’on prend le temps d’expliquer l’impact du gel sur les récoltes, par exemple, alors les consommateurs comprennent plus aisément les origines d’une hausse des prix. Ils sauront que pour sauver leur agriculture, ils devront privilégier les produits locaux aux mêmes produits importés.

Les clichés sont résistants. On a toujours cette image de l’agriculteur pollueur, alors qu’il est lui-même extrêmement dépendant du climat et qu’il est peut-être celui qui en souffre le plus.

 


Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui lie agriculture et climat ?


Le lien est d’autant plus important dans ce contexte actuel. L’impact de l’agriculture sur le climat peut être positif ou négatif. Quoi qu’il arrive, l’agriculture aura toujours un impact sur le climat, car c’est la base-même de la logique agricole : on produit pour se nourrir. Le but, c’est de le réduire au maximum. Et le point crucial, pour cela, c’est la préservation des sols. C’est là que se fait le stockage carbone : on reprend du CO2 dans l’atmosphère pour le remettre dans les sols.



Quels types de pratiques agricoles permettent d’assurer au mieux la préservation des sols ?


Il y a ce que l’on appelle l’agriculture de conservation des sols (ACS). Elle repose sur plusieurs techniques agricoles, notamment la limitation des labours. Alors, bien-sûr, sur certaines terres comme les sols argileux, on ne pourra pas s’en affranchir. Mais sur d’autres, c’est possible et ça permet de ne pas déstructurer les propriétés biologiques des sols. On peut également apposer un couvert végétal sur l’ensemble de l’année au lieu de laisser le sol à nu entre deux cultures. Sans couvert, le sol sera soumis aux précipitations, à l’érosion. Un couvert végétal permettra de le protéger du soleil et de la pluie tout en le fertilisant. On peut aussi introduire des légumineuses dans les rotations. Celles-ci permettent de stocker l’azote présent dans l’atmosphère dans les sols. C’est en engrais naturel en quelque sorte.

Les haies aussi peuvent jouer un rôle dans le stockage du carbone. Les plantes vont reprendre le carbone présent dans l’air grâce à la photosynthèse.

Stocker du carbone est primordial pour l’agriculture. C’est ce qui lui permettra de limiter son impact sur les changements climatiques.



Et du côté des consommateurs·ices, que peut-on faire pour limiter notre impact sur le climat ?


L’un des points les plus importants serait sans doute le gaspillage alimentaire. En effet, celui-ci représente 15 à 30% de la production des pays développés. Cela veut dire que 15 à 30% de ce qui est produit ne va jamais dans la bouche d’un être humain. Cette partie sera gaspillée quelque part entre la récolte et le moment où le produit se retrouve dans notre frigo. Cela peut être dû à la date de péremption, aux surplus, aux choix des consommateurs qui ne voudront garder que les plus beaux produits… Ce qu’il faut savoir, c’est que ce gaspillage alimentaire représente 8 à 10% des gaz à effet de serre émis par l’agriculture, simplement parce qu’on a l’habitude de manger des pommes belles et brillantes. Pourtant, une pomme plus biscornue aura les mêmes qualités nutritionnelles et le même goût qu’une autre plus jolie. Jusqu’au début du XX° siècle, on ne se posait pas la question. On mangeait ce que l’on produisait.

Un point sur lequel le consommateur peut agir directement, c’est la consommation de produits locaux. Aujourd’hui, il est possible d’importer tout et n’importe quoi. Ça ne choque plus personne de trouver dans les rayons des fraises en plein hiver. Le consommateur a alors tendance à penser que c’est normal, il craque et les achète. Alors évidemment, il y a certains produits comme les bananes, le thé, le café, le tabac ou le cacao qui ne pourront jamais être cultivés localement en France. Enfin, je l’espère du moins ! On ne sera jamais parfaitement propre, mais on peut tenter de s’en approcher le plus possible en consommant des produits cultivés en France et non sous des serres espagnoles chauffées au fioul.

Beaucoup pensent que parce qu’ils achètent un produit bio, alors celui-ci aura un impact plus faible. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. Un fruit cultivé en agriculture conventionnelle, cueilli à maturité dans le jardin d’à côté, aura un impact plus faible que le fruit bio venu d’Espagne. Il aura aussi bien plus de goût, et ça, c’est un élément qui n’entre pas dans le cahier des charges bio !

Le débat tourne beaucoup autour de l’agriculture bio ou conventionnelle alors que le lieu de production prime davantage. Il vaut mieux acheter un produit local cultivé par des agriculteurs aux pratiques raisonnées qu’un produit bio venu d’ailleurs. Prenez le temps de discuter des pratiques avec vos agriculteurs. Vous en apprendrez bien plus qu’avec une étiquette. D’ailleurs, certains industriels l’ont bien compris et on retrouve en rayon des packagings qui mettent en avant le lieu de production et le type de pratiques agricoles. C’est un signe que les comportements de consommation changent.

Il ne faut pas être utopique non plus. Tout le monde n’a pas le même accès éducatif, financier ou géographique à la consommation locale. Mais une chose est certaine, les circuits courts ont une carte à jouer pour la rendre accessible à tous. Et n’oublions pas que moins il y aura d’intermédiaires, plus le producteur sera rémunéré à sa juste valeur.


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Les épisodes climatiques extrêmes semblent se succéder ces temps-ci. Quels sont les risques encourus ?


Actuellement, le risque le plus important, c’est le manque d’eau. Alors effectivement, on pourrait avoir du mal à y croire, mais c’est pourtant bien le cas. La même quantité d’eau tombe sur la France, mais nous avons plus d’eau en hiver et moins en été. Or, les cultures ont davantage besoin d’eau en été qu’en hiver. D’autant qu’en hiver, elle tombera en plus forte intensité et sera donc moins efficace d’un point de vue agricole.

Les années où la sécheresse sera trop importante et où l’eau manquera, la production agricole diminuera brutalement. Nous l’avons déjà remarqué avec les cultures de blé l’année dernière : avec la grosse sécheresse qui a eu lieu pendant le premier confinement, la production de blé a affiché une baisse historique. Ce qui est effrayant, c’est que d’après les prévisions climatiques, cette sécheresse sera considérée comme « classique » dans un futur plus ou moins proche.

Le changement climatique implique d’autres problèmes, comme l’épisode de gel que nous avons connu en avril 2021. Nous aurons aussi de la grêle, des phénomènes orageux intenses, des événements de très haute chaleur, des épisodes venteux… C’est dès aujourd’hui qu’il nous faut trouver des solutions, car on ne pourra pas s’affranchir de ces problèmes.



Qu’est-ce que tout cela impliquerait dans un futur proche ?


Si nous continuons de la même façon, sans adaptation véritable des espèces ou des pratiques, alors nous deviendrons dépendants d’autres pays pour nous nourrir. Notre souveraineté alimentaire est en danger.
Il faut trouver dès maintenant des moyens de contrer le manque d’eau. C’est un aspect crucial du changement climatique. C’est là que l’agriculture de conservation des sols a un rôle à jouer. Car un sol bien préservé est un sol qui permet de stocker plus d’eau. Un sol vivant a plus de retenue d’eau grâce à la matière organique qu’il contient, qui agit comme un treillis et permet la rétention.

Il faudrait également autoriser la création de retenues d’eau. Alors, c’est assez polémique comme sujet, car les retenues d’eau inondent des zones et condamnent des écosystèmes. Les ONG et associations environnementales apprécient peu cette pratique. Malheureusement, ce sera nécessaire dans un avenir très proche pour pouvoir produire. Car sans eau, on ne pourra rien cultiver. Mais ce n’est pas parce qu’on autorisera les retenues d’eau qu’il faudra garder les mêmes pratiques agricoles. Tout cela ne pourra marcher que couplé à une agriculture de conservation des sols. Il faudrait que les agriculteurs puissent être dotés d’outils d’aide à la décision qui leur permettront de savoir quelle est la quantité d’eau en réserve et comment ils doivent irriguer pour avoir un rendement suffisant. C’est un nouveau concept apporté par le rapport « eau, agriculture et changement climatique » : on parle d’ « irrigation de résilience ».

Chacun doit faire un pas vers l’autre : les ONG doivent accepter les retenues d’eau, les agriculteurs doivent adapter leurs pratiques et l’État doit fournir des aides.

 


Combien de temps avons-nous pour changer la donner ?


Il faut agir dès maintenant. Pour certaines cultures, comme la vigne ou l’arboriculture, nous sommes déjà en retard. Ce sont des productions qui nécessitent plusieurs dizaines d’années et il faut se tourner vers des variétés adaptées au plus vite.

Ces trois dernières années, on a remarqué des sécheresses qui ont été problématiques. Même si c’est encore gérable, ça aura vite des conséquences au niveau génétique pour nos cultures. Il faut aller chercher des espèces résistantes, notamment dans le sud de l’Europe.

Pour l’instant, le changement climatique est plus rapide que l’adaptation de l’être-humain et de son agriculture. Ce sont nouveaux les changements climatiques qui gagnent à ce jeu. Sinon, on ne parlerait pas de catastrophe climatique. Le compte à rebours a déjà bien commencé.

La vigne est un symbole de résistance. Pourtant, le 28 juin 2019, on l’a vue brûler sous une température de 46°. Nous avons alors été le premier pays a dépassé son record de température de plusieurs degrés. Normalement, les records sont battus de 0,1° ou 0,2°. Là, ce fut 2°. Tous les scientifiques du monde se sont alors tournés vers la France pour constater les brûlures et le dépassement de la limite génétique de certains végétaux. Au Canada, cette année, le record a été dépassé de 4,6°. C’est du jamais-vu. Le record national était de 45°, il a atteint 49,6° à 50° latitude nord. Pour comparer, c’est comme si la ville de Lille affichait la même température. Ça semble improbable, mais pourtant…

À ce moment-là, nous avons mis notre deuxième genou à terre.

On a eu une preuve qu’il fallait agir au plus vite. Ces preuves se multiplient et s’accentuent. Certains pays, comme l’Espagne ou l’Italie, ont déjà commencé à s’adapter. Nous devons nous en inspirer, nous montrer curieux, pour pouvoir à notre tour appliquer ces pratiques chez nous.


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